23/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Le père Druetto

01/01/1985
Le père Bernard Druetto.

Avec son gentil sourire entouré d'une longue barbe blanche, le père Bernard Druetto ressemble au Père Noël. Si nous étions à la veille de Noël, tous les petits enfants se rueraient autour de lui en l'appelant « Papa Noël ». Or c'est jus­tement ainsi que l'appellent les habitants de Kinmen [ 金門 ](I), le bastion insulaire de de Chine sur le front au large du continent chinois.

Le père Druetto, prêtre catholique, est aujourd'hui un patriarche, un méde­cin, un bon pasteur et un père au grand coeur pour tout le monde sur cet îlot du large. Et comme l'idole des enfants, il distribue des jouets et des cadeaux à tous les enfants de Kinmen la veille de Noël. Il se tient jour et nuit à la disposi­tion de tous, jeunes ou vieux, pour ré­soudre un problème spirituel, physique ou psychologique.

« Si vous désirez écouter la parole de Dieu, être baptisé, vous confesser ou si vous êtes malade ou sans moral, le père Druetto viendra auprès de vous en un éclair » déclare ou paroissien.

« Papa Noël est même venu une fois, la veille de Noël, et notre vieil oncle est resté auprès de nous une année entière», ajoute le colonel T.P. Li, un officier de la dé­fense de Kinmen.

L'amour de du père Druetto, et de Kinmen en particulier, est manifeste : il est resté de sa propre vo­lonté en Chine pendant 53 ans, dont 31 ans à Kinmen. « est mon premier amour terrestre et restera mon seul amour pendant mes toutes dernières années, dit-il avec quelque émotion. Je mourrai sur cette île au milieu de gens que j'aime. La seule chose qui pourrait m'en éloigner serait la chance de retourner sur le continent. Comme je ne puis le faire actuellement, je resterai donc jusqu’au bout, ici juste à delà.

« Par beau temps, je vois tout si claire­ment de l'autre côté du détroit [de Kinmen(2)] que cela me rend nostalgique. J'espère que Kinmen deviendra un tremplin pour me catapulter de l'autre côté. »

Membre de l'ordre de saint François d'Assise, le père Druetto vint en Chine à l'âge de 22 ans, réalisant enfin son rêve d'enfant. Lieou-yang [ 瀏陽 ](3), à l'est de Tchangcha (capitale de la province de Hounan), fut le site de sa première mis­sion. Il y travailla infatigablement, prê­chant l'Evangile et aidant la population. Près de quatre mille personnes se con­vertirent, et il y fit construire un hôpital pour tout le monde, chrétiens et non­ chrétiens. « Au fil de cette expérience, mon amour pour et les Chinois, s'est constamment enrichie », dit-il à propos de cette époque.

Quand les communistes se rendirent maîtres du continent chinois en 1949, la mission du père Druetto fut arrêtée. Rappelant des souvenirs, un voile de tris­tesse s'abat sur le visage du vieil homme: « Les communistes sont des meur­triers assoiffés de sang, tuant des innocents partout où ils allaient. Le hsien(4) de Louei­-yang où se trouvait ma mission, avait un million d'habitants dont une personne sur sept fut massacrée.

« Les Chinois ont un proverbe: La ty­rannie est pire qu'un tigre. Oh, comme c'est bien vrai! Les Rouges furent plus féroces que des tigres. Vous pouvez penser que d'une taupinière je vous en fais une mon­tagne, en vous faisant marcher. Eh bien, croyez-moi, chaque parole que je vous dis est l'exacte vérité. Les communistes sont allés jusqu'à arracher le coeur de leurs vic­times pour le manger. C'est la pure vérité! Je ne l'aurais jamais cru si je ne l'avais vu de mes propres yeux.

« Les autres Chinois ne sont pas du tout comme ça! Pourquoi les Rouges se sont-ils conduits de cette manière? Cela doit être l'athéisme du communisme qui les a rendus aussi diaboliques. Cela me perce le coeur chaque fois que j'y pense. Je suis ef­frayé par ces souvenirs cruels qui resteront gravés dans ma mémoire jusqu 'à lafin.»

Malgré les conditions terribles, le père Druetto refusa de quitter le conti­nent, poursuivant son travail auprès de la population qui souffrait. Les commu­nistes l'arrachèrent de sa mission et de son hôpital qui avait déjà cinq cents lits. Et le 7 mars 1951, il fut arrêté et jeté en prison. Confiné dans une petite cellule pendant huit mois, il n'avait guère à manger .et ne pouvait quitter son cachot où on lui apportait chaque jour un bol d'eau pour boire et se laver. Au bout de ce laps de temps, il avait perdu plus de , n'en,pesant plus que 29. Il fut fina­lement relâché et aussitôt expulsé.

« Vous pouvez m'expulser, mais vous' ne pourrez pas chasser mon coeur. Je re­ viendrai un jour, lança-t-il à ses tortionnaires.

- Vous serez mort dans les cinq mi­nutes si vous remettez le pied sur le sol chi­nois », lui répondit le cadre communiste en guise d'avertissement.

Après un court séjour à Hongkong, le père Druetto alla au Viêt-nam où il tra­vailla auprès des communautés chi­noises. Puis en 1953, il vint en Répu­blique de Chine et élut domicile à Kinmen. A l'époque, la petite île n'était qu'un rocher désert, mais grâce aux ef­ forts de ses habitants et de la garnison, elle devint active et prospère. Le père Druetto a construit de ses mains deux églises et un dispensaire. Il a secouru de nombreux malades et les pauvres, en particulier. Médecin, il a sans cesse pratiqué.

Comme saint François d'Assise, il a soigné aussi de nombreux animaux. Chiens, poulets et canards circulent li­brement dans la cour. Un poney, appelé Si, est son compagnon, accourant au seul appel de son maître. Un petit chat partage ses repas.

Le père Druetto ne mange qu'une seule fois par jour, parfois même pour plusieurs jours. Il n'a pas de chambre et dors sur une chaise, une table, le sol, fai­sant toutes les corvées lui-même puis­ qu'il n'a pas d'aide. Une des ses marottes est de faire des réparations.

Un jour, en juillet 1983, comme il ré­parait son église, il tomba de l'échelle. Souffrant terriblement, il appela au se­cours, mais personne ne l'entendit. Il pria ces mots « Oh, Sainte-Mère, aidez­-moi!», et la douleur disparut tandis qu'il s'évanouissait. Le lendemain matin, un patient venant chercher quelque secours médical, le trouva là et l'emmena aussi­ tôt à l'hôpital. Les médecins de Kinmen n'osant pas opérer sur place un homme de 75 ans l'envoyèrent à l'hôpital des Forces aériennes de Taïpei où, en con­valescence, des amis et même des per­sonnes qui lui étaient étrangères furent nombreux à lui rendre visite et lui appor­ter autant de cadeaux. « Vous me com­blez », leur souriait-il.

Né à Marseille, fils d'un père italien et d'une mère française, le père Bernard Druetto parlent couramment plusieurs langues. A sept ans, il perdit sa mère et, vingt jours plus tard, son frère jumeau. Le jeune Bernard entra dans l'ordre des Franciscains, puis acheva ses études de philosophie et de théologie à l'université Saint-Antoine à Rome. Dans la ville éternelle, il suivit pendant un an une for­ mation médicale, ce qui l'à beaucoup aidé au cours de son travail de missionnaire.

Bien que les installations hospitalo­-médicales de Kinmen soient maintenant importantes et modernes, les habitants, quand ils sont malades, préfèrent le père Dtuetto dont l'affection est véritable­ment paternelle.

Lors du bombardement intensif de l'île de Kinmen par les communistes en 1958, le père Druetto risqua sa vie pour y revenir en vitesse tandis qu'il pleuvait des obus. Il se déplaça partout, parcou­rant çà et là l'île pour secourir les blessés et enterrer les morts. « Combien de per­sonnes avez-vous secourues? lui demanda un journaliste. - Ne dites pas à votre main gauche ce que fait votre main droite! » rétorqua sèchement le père Druetto.

Le 30 août 1984, une grand-messe solennelle a célébré le jubilé d'or de la prêtise du père Druetto et le cinquante­ deuxième anniversairé de son arrivée en Chine. Ecoutant les messages de félicita­tions qui lui étaient lus, dont celui du pape lean-Paul II, le père Druetto se tenait debout, droit devant l'autel, comme Moïse recevant les Tables, face au détroit de Kinmen et, au-delà, au con­tinent chinois qu'il aime tant. ■

(1) Kinmen: en pékinois tchinn-menn. L'orthographe utilisée est celle des Postes impériales de Chine, selon la prononciation mandarinale (ou nankinoise) kinn-menn. La pro­nonciation dialectale locale des mêmes caractères est ké­mouï d'où la rorme, aussi connue, de Quémoy pour dêsigner I’île.

(2) Détroit de Kinmen: il s'agit ici du bras de mer large d'environ quatre à cinq kilomètres séparant l'île de Kinmen du continent chinois, et non du détroit de Formose (ou de Taïwan).

(3) Lieou-yang. (ou Liu-yang) se prononce en pékinois Liô-yang.

(4) Hsierr. selon l'orthographe en usage à Taïwan, du chinois chienn [ 縣 ], est une circonscription administrative propre à l'empire, on l'a traduite par sous­-préfecture tandis Qu'elle dépendant du fou [ 府 ] ou préfecture. Depuis, dépendant directement de la province, après l'abro­gation du fou sous , on peut la traduire par ar­rondissement ou district, sans valoir le terme chinois. A Taïwan, la presse anglo-américaine use du terme county (comté), par analogie à une subdivision territoriale des pays anglo-saxons. Cependant ce terme, comté, qui a une valeur historique précise en Europe est impropre en francais.

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